Un petit groupe d’animaux bizarres, inconnus jusque là, est apparu en septembre 1956 sur la côte de Biarritz. Ces individus passaient le temps à glisser sur les vagues. Après enquête, il a été convenu que ces individus appartenaient bien à la lignée des Homo Sapiens, ou homme moderne. Ce groupe se développa durant quelques années. Comprenant à la fois des individus migrateurs et des individus sédentaires, il pratiquait en fait un nouveau sport : le Surf.
Le surfeur est en général perçu comme un être libre, amateur d’océan propre, dont il est souvent un ardent protecteur. Il présente toutefois quelques caractéristiques particulières qui le rendent légèrement différent de ses contemporains. Individualiste, bien que souvent grégaire, il peut habiter l’été des lieux improbables. Il se déplace à la recherche de la vague idéale. Il fait rêver les jolies naïades alanguies sur nos plages.
Le surfeur sauvage semble en danger. Voyant l’attrait qu’exerce le surfeur sur ses contemporains, la mode s’est emparée de son art de vivre, provoquant une forme de domestication par la masse du surfeur. Certains vendeurs de planches ne racontent ils pas que quelques individus achètent des planches non pas pour surfer mais pour les planter sur la plage de sable et ainsi tenter de leurrer quelques jolis soleils. Il est possible que certains surfeurs, en nombre limité, possèdent un gène particulier mal connu, que nous nommerons « Pognonus affairensis ». La présence de ce gène aurait poussé certains sur la vague de la mode et du marché surfique. Ils ont participé à la création de structures dédiées dans les environs. On a vu se transformer et développer des zones artisanales en zones commerciales liées à ce monde comme celle de Pédebert à Hossegor. Hossegor se dotant d’une image double à première vue contradictoire : être à la fois une commune favorisant la concentration de personnes âgées à haut revenus, et le centre d’un art de vivre liée au surf souvent adopté par des « captifs économiques ». Une double image de calme et tranquillité huppée, et de dynamisme pour une jeunesse un peu marginale.
Dernièrement, la mode étant peut être en train de passer, la zone de Pédebert a perdu 300 des 1 000 emplois qu’elle comportait. Voyant cela, nos grands responsables politiques landais ont décidé de réagir et d’agrandir Pédebert en lui joignant une pépinière d’entreprise liée aux industries de la glisse. Ceci dans une double contrainte : la baisse du chiffre d’affaire et d’une production presque totalement délocalisée en Asie du sud est.
Mais il y a pire, une autre idée leur est venue. Créer un « centre d’élevage intensif » pour surfeur. Dans ce but, des surfeurs basques ont développé une structure dédiée à cette entreprise : la piscine à vague Wave Garden.
Comme nous pouvons le voir sur la vidéo présentant le prototype, l’idée est techniquement géniale, comme le fut en son temps le Concorde, ou le TGV. Elle permet la pratique du surf partout, du centre du Sahara, au nord de la Finlande. dans le premier cas, il suffit d’apporter l’eau, dans l’autre il suffit de couvrir et de chauffer…
Quelques questions basiques
Devenons un peu sérieux : la création d’un tel site relativement onéreux, on parle de 4 à 5 millions d’€ (sans les habituels surcoûts à terminaison, et oublis divers). Il est donc nécessaire d’aborder des questions simples, pour éviter de se focaliser sur ce qui ne pourrait être qu’un rêve inaccessible dans une époque d’entrée en crise longue.
Le concept est définie sur le site de la société. Nous y trouvons beaucoup de renseignements intéressants. Mais la lecture du plan business, et du calcul CO2 laisse très rêveur, et nous fait songer aux études habituelles des GPI2. Les dimensions proposées (350 m * 110 m) soit une infrastructure de presque 4 ha, pour un bassin de 310 m * 75m soit 3 ha avec une profondeur moyenne autour du mètre. L’eau doit être traitée si elle n’est pas renouvelée. L’énergie de production de la vague indiquée semble faible soit 270 KWh, pour 60 vagues doubles à l’heure.
- Quelles séries de normes pour la qualité de l’eau sont à appliquer ?
- Combien de mois par an le système est-il utilisable ?
- Quels équipements individuels à fournir par le surfeur (EPI, combinaison, planche) ?
- Quelles sont les règles de sécurité applicable ?
- Combien de surfeurs en même temps sur la vague (2, 4, 6…) ?
- Quel coût d’utilisation par surfeur à l’unité de temps (heure, séance…) ?
- Qui assume le risque financier (privé on en doute, public c’est vraisemblable) ?
Le concepteur annonce : » Capacité : entre 50 et 100 surfeurs dans le lagon, en même temps (10-30 surfeurs experts, 15-45 surfeurs intermédiaires et 30 – 45 surfeurs débutants ) » dans le business plan. Ailleurs c’est 50 à 60 surfeurs sur la lagune en même temps. Or, sur les photos et surtout les vidéos jamais plus de 1 ou 2 surfeurs par vague. Une seule photo présente 6 surfeurs en simultané sur une vague. Prenons 50 surfeurs par groupe de 5 par vague (ce qui nous fait 10 surfs simultanés, et 5 groupes). Avec 60 vagues à l’heure, chaque surfeur aura au mieux 12 vagues à l’heure payantes contre combien de gratuites à la plage (4, 5 …). De plus le concepteur ne précise pas la répartition entre les surfeurs sur la zone de vague, et ceux en apprentissage à chaque extrémité, sur les vagues dégradées. Or les vagues dégradées ne sont qu’un sous produit exploité de la vague (un déchet). 5 surfeurs par vague sur une largeur brute inférieure à 40 m, cela nous donne une possibilité de 6 m de déplacements latéraux par surfeur est ce suffisant ? Cela ne conduira t il pas à des tri de passage, pour homogénéiser les groupes, donc à réduire les effectifs réels.
Le concepteur annonce que l’eau doit être traitée ou pas suivant que le système est à renouvellement automatique ou non. En conséquence, dans un circuit fermé, qui doit être vidangé une fois par an, l’eau devra être traitée. Quelles seront les normes à appliquer, la profondeur étant faible, le soleil étant fort, parfois, dans nos contrées ? Et bien entendu, quels seront les coûts induits ?
L’équipement du surfeur pose un autre problème. S’il est débutant, ou touriste de passage, le système ne manquera pas de lui fournir des EPI (Equipement de Protection Individuel : casque [Un testeur signale qu’il s’est assommé avec sa planche, et qu’il a ensuite mis son casque], une combinaison ou un gilet de sauvetage pour les tout petits. Or il y aura besoin de personnel pour le nettoyage. Ici l’emploi risque de devenir un surcout non amortissable. Il faut des surveillants éventuellement moniteurs (en mer 8 élèves par moniteur), des personnels d’entretien, d’accueil, de vente… Toutes catégories de personnels que l’on retrouve dans les piscines, mais dont les taux de remplissage semblent être plus importants.
Combien de jours par an la fréquentation sera t elle suffisante ? En été pas de problème, (quoique avec les deux dernières saisons !) mais les autres saisons. Faudra t il chauffer, abriter, pour augmenter la fréquentation annuelle, mais aussi climatiser aux périodes chaudes si la structure est fermée.
Tout ceci semble indiquer que la rentabilisation est loin d’être obtenue, et ce ne sont pas les explications sommaires du concepteur qui nous rassurent sur ce point. Le Businnes plan est pleins de promesses, mais aussi de tiroirs. Il donne l’EBITDA de l’opération (1 millions d’€, ainsi que le TRI (IRR, ou taux de rentabilité interne) 15 à 20 %. Ces modèles financiers ont été largement utilisés lors des spéculations qui ont conduit à la dernière crise financière pour valoriser les entreprises et les projets. Ils sont difficiles d’utilisation, et peuvent présenter des risques de masquages importants (d’après la documentation). Le concepteur donne une durée de retour sur investissement de 4 ans. Un simple calcul, qui comprend l’investissement initial sans emprunts, le coût de l’électricité pour la vague, une ouverture de 8 h/jour, et 120 jours/an (Juin Juillet aout septembre), avec 30 surfeurs en permanence, et 5 personnes au SMIC nous donne la demi journée à 20 € en coût de revient par surfeur. sur 4 ans la demi journée passe à 65 €. Le calcul est fait avec un amortissement sur 4 ou 10 ans sans renouvellement ou évolution de l’investissement. Il ne comprend pas non plus les amortissements d’emprunts, les taxes et impôts, l’entretien, la fournitures des équipements, et les annexes habituelles. Sur ces bases, quels seront les prix de vente de la demi journée au public. Ces tarifs sont ils compatibles avec les touristes de plus en plus « captifs économiques » , avec les locaux dont 70% relèvent du logement social ? Ce ne sont que des ordres de grandeur, ils valent ce que valent les calculs approximatifs. Pour une utilisation en scolaire, ce sera le contribuable qui règlera la facture. La mer est donc pour ce domaine une solution beaucoup plus judicieuse dans tous les cas de figures. Ce qui explique l’hypothèse de 30 surfeurs en utilisation que nous avons retenue.
Nous n’aborderons pas ici la problématique environnementale, qui coule de source, dans des zones touristiques souvent sous la loi littorale. Peut on se permettre d’artificialiser 4 ha de terres pour un intérêt très médiocre. En effet, nous le voyons, nous sommes dans un système relativement onéreux qui ne permettrait qu’une réduction à la marge du nombre de surfeurs sur les plages.
En fait tout cela ressemble encore une fois à un GPI2 (Grand Projet Inutile, et Imposé). Pour nous l’important est de mobiliser les ressources de plus en plus faibles de la collectivité vers des utilisations beaucoup plus en phase avec l’époque : La réduction de la consommation énergétique, la lutte contre l’effet climatique, la préparation de notre société vers une civilisation beaucoup plus économe des ressources de plus en plus rares.
En conséquence, pour sauver le surfeur sauvage, et permettre à nos filles et petites filles de rêver, luttons contre le surfeur d’élevage, tout en protégeant nos impôts.
Il est bien entendu que les Amis de la Terre s’opposeront à ce projet particulièrement incongru dans l’époque actuelle, et gageons que nous ne serons pas seuls.
L’original d’article se trouve ici