Jusqu’où s’arrêteront-ils?

La croissance économique, en régime capitaliste, est un principe quantitatif. La quantité s’impose à tout autre argument comme gage de qualité et garantit l’augmentation du niveau de vie de la population.

La question se pose cependant, dans le contexte persistant de crise économique et écologique de la société de consommation industrielle, si ce principe quantitatif de croissance obligée sert toujours les intérêts de la société alors que nous constatons une dégradation durable du niveau de vie.

Lors d’une audition à l’assemblée nationale en 2013, l’expert en énergie Jean-Marc Jancovici expliquait, partant du constant que « l’économie est une machine à transformer des ressources naturelles gratuites : L’europe ne connaîtra plus de croissance. [...] La croissance continue ne reviendra plus car l’approvisionnement énergétique de l’europe est déjà restreint.« 

La crise économique globale de 2007 s’est développée lentement depuis les années 70. Les qualificatifs de crise de l’énergie, choc pétrolier montrent bien que notre système économique dépend des énergies fossiles: si l’énergie n’est pas disponible en quantité suffisante pour des raisons physiques ou géopolitiques, la coût de la production dans son ensemble augmente jusqu’à devenir insupportable. L’économie capitaliste n’est donc pas viable sans croissance permanente, c’est à dire sans consommation d’énergie croissante. La stagnation ou la décroissance de l’économie réelle depuis quelques années le prouve.

La réaction de la politique face à la crise est paradoxale. En France par exemple, on veut rétablir la croissance en menant une politique d’austérité. Au lieu de redistribuer du pouvoir d’achat et d’influer ainsi sur le marché réel, on vole directement et artificiellement au secours des banques privées et des grands groupes.
La politique néo-libérale de privatisation et de spéculation financière – la seule possible nous dit-on – conduit ainsi par exemple à la contradiction symptomatique d’une hausse des cours de la bourse alors que l’économie réelle en crise, décroît.

La difficulté de trouver des investissements ou des placements de capital lucratifs provoque d’une part des bulles spéculatives et d’autre part un fort lobbying pour remplir les carnets de commande et élargir le champ d’action des grands groupes.
Leur influence sur la politique atteint aujourd’hui un pic avec la négociation secrète du Traité Transatlantique. Les faits révélés récemment nous apprennent que les multinationales se battent pour obtenir un accord international susceptible de protéger leur futurs investissements du système législatif des états.
Ainsi, détournant le principe-même de démocratie et profitant de la situation de crise, ils veulent imposer la croissance quantitave contre les lois de précautions déjà en vigueur (en matière d’écologie, lois sociales, etc..).
Cette agressivité est en fait le symptôme d’une précarité économique. Bailout d’états, fusions, rachats, licenciements sont leur lot commun.

Pour réagir à la décroissance de l’économie réelle et sauver les grandes entreprises, l’état pallie donc aux contrats manquants. Pour cela il s’endette auprès des banques privées qui transforment cette situation de crise en profit.
Une population en situation de plus en plus précaire, affaiblie par une politique d’austérité, se trouve en face d’un pouvoir financier surdimentionné. Les clients des banques deviennent à la fois les garants et les otages de ce pouvoir financier (Mécanisme Européen de Stabilité). L’influence des banques sur la politique dépasse ainsi celle des citoyens.

Si on regarde cette situation sur un plan national ou régional on comprend que le système politique devient de plus en plus dépendant de l’économie. Au lieu de mettre en doute le paradigme de croissance, le pouvoir politique sous la pression des grands groupes et de la finance, s’obstine dans le productivisme traditionnel. Ils en résulte des projets et des investissements sans fondement réel, imposés aux populations pour servir l’industrie en difficulté et soutenir le moral des marchés financiers.
La population s’oppose de plus en plus à ces projets irrationnels qui s’avèrent déficitaires, sinon inutiles. ( Aéroport de Castellon sur la côte est espagnole où pas un avion n’a aterri…) L’avantage économique réside dès lors seulement dans la fabrication des structures.
Cette création de structure pour la structure, cet investissement pour l’investissement, financé par l’argent public, a des conséquences très négatives sur la population qui voit augmenter la courbe du chômage au même temps et comprend bien que l’ambition industrielle pour la rationalisation, l’automatisation et la délocalisation discrédite l’argument récurant de la création ou de la protection de l’emploi.

Cette volonté politique de maintient de l’industrie à tout prix et la privatisation des biens publics immanents qui en découle exacerbe les tensions sociales. On est donc en droit de se demander si la dégradation de la qualité de vie et la destruction de la cohésion sociale n’est pas un prix trop élevé pour un résultat aussi médiocre, puisqu’on n’évitera pas à terme un processus de changement économique.

Au contraire, il conviendrait de concentrer nos efforts sur une révision du paradigme économique notamment vers une stratégie intelligente de diversification et de décentralisation du travail. Les décisions politiques doivent engager les grands groupes et les banques à s’adapter à la situation économique et aux besoins structurels de la société, et remplir ainsi leur rôle positif auprès de la population.
L’abandon du productivisme technocratique, qui ne répond à aucune demande de l’économie réelle, cet abandon seulement peut être un premier pas pour rompre avec la double morale d’une industrie bardée de labels écoresponsables mais qui bafoue quotidiennement les règles existantes de protection de l’environnement et de durabilité. Alors s’ouvrira un espace pour des projets adaptés aux circonstances économiques, environnementales, sociales qui répondent aux besoins et aux attentes d’une population menacée par la crise.

La complaisance politique envers le lobbying industriel est aujourd’hui à son apogée. L’idéologie capitaliste au service présumé de la démocratie est en réalité une menace pour elle. Coluche demandait: »Jusqu’où s’arrêteront-ils?« 

L’espace public doit se libérer de cette occupation pour se recréer dans toute sa liberté. Le citoyen, délivré du mensonge qui le maintient à l’écart de la vie publique et nourrit un sentiment de fatalité, pourra alors quitter sa posture individualiste pour s’engager en faveur du bien commun sur la voie d’un changement conscient.
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